Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                   LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE

 

 

LE PILIER HISTORIE DE SOREZE

Nelly POUSTHOMIS-DALLE
in Archéologie du Midi Médiéval – 1987 – tome 5 –
Centre d’Archéologie Médiévale du Languedoc – pp. 178-181

 

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Nous avons déjà publié un certain nombre d'œuvres sculptées romanes dispersées dans Soréze ou aux alentours et qui pourraient provenir de l'abbaye Sainte ­Marie de Soréze.

 

Nous nous proposons aujourd'hui de consacrer une note à une pièce qui se différencie par sa nature et par sa date de l'ensemble déjà étudié (1).

Provenant peut-être de l'abbaye, ce pilier historié a servi de support à une croix en fer forgé (fig. 1) (2) avant d'être déposé au musée municipalde Soréze.

Cet ancien remploi, qui explique la présence de trous d'ancrage à la partie supérieure, est sans doute responsable de la grande érosion qu'a subie la sculpture et qui a arasé les reliefs et fait disparaître les détails.

De section à peu près carrée (0,40 m de côté pour 1,13 m de hauteur), aux angles abattus, il est sculpté sur deux faces perpendiculaires, les deux autres étant simplement taillées à la pointe.

Deux personnages sont représentés sous des arcs trilobés qui reposent à l'angle des deux faces sur un pilastre commun à haut code et chapiteau feuillagé (fig. 2).

 

Le personnage de gauche

 

 

Le personnage de gauche est vu de face, les pieds posés sur le rebord inférieur du pilier, la tête logée dans le lobe supérieur de l'arc comme dans une conque .

Vêtu d'une tunique longue aux plis tuyautés et d'une chape retenue par un gros fermail circulaire et munie d'un capuchon, il tient un livre dans sa main gauche et un bâton ou une crosse dans la droite. Les bras sont dissimulés par le manteau relevé et plissé en V sur l'avant bras droit. Le visage, dont aucun trait n'a été conservé, est encadré par des cheveux relevés en rouleaux sur les oreilles.

 

 

 

: Pilier historié de Soréze, face sculptée de gauche.

 

 

 

Le personnage de droite

 

 

Le personnage de droite est beaucoup plus détérioré.

 Ses pieds reposent sur un animal couché et sa tête est logée dans le lobe supérieur de l'arc. Il est vêtu d'une tunique qui s'arrête aux chevilles, serrée à la taille par une ceinture et tombant en lourds plis tuyautés.

Ses épaules sont couvertes par une cape retenue à l'encolure et dont un pan rabattu sur le bras droit dessine des plis étagés en V.

Ce bras est plié, main à hauteur de poitrine, tandis que la main gauche, placée plus bas, tient un objet difficile à identifier (épée, bâton, sceptre ou palme ?).

 

 

 

                                                                       Pilier historié de Soréze, face sculptée de droite.

 

 

L'interprEtation iconographique

 

L'interprétation iconographique de ce pilier se heurte au mauvais état de la sculpture qui en rend la lecture très délicate.

Le personnage de gauche pourrait être identifié à un abbé ou un saint Benoît.

Dans le cas de la figure de droite, la présence d'un animal couché sous ses pieds pourrait donner quelque indice.

On songe immédiatement à un dragon et par association à un saint Michel ou un saint Georges.

Mais le personnage ne semble pas terrasser l'animal - lequel ne correspond pas aux représentations traditionnelles de dragon  et l'on attendrait des attributs guerriers qui ne semblent pas figurer. Par ailleurs, ce mode de représentation d'un personnage appuyé sur un animal couché n'est pas unique et se retrouve notamment au portail de Leyre en Navarre, à celui de Saint-Just de Valcabrère près de Saint-Bertrand-de-Comminges ou encore au portail de la salle capitulaire de Saint-Etienne de Toulouse conservé au Musée des Augustins.

Un détail sur le pilier de Soréze nous conduit à formuler une hypothèse peut-être un peu audacieuse.

La croupe de l'animal est presque figurée de dessus, les deux cuisses étant visibles à la fois. L'arrière-train ne reposant pas totalement sur le rebord inférieur du pilier suggère qu'on a pu partir d'un modèle où l'animal était couché sur le fond où est sculptée la figure comme dans le cas d'un gisant (3). Si le personnage qu'a voulu représenter le sculpteur n'est pas un saint, mais un homme du « siècle », un laïc important, il a pu s'inspirer d'une figure de gisant qu'il aurait imparfaitement transposée sur le plan vertical pour en faire une figure debout.

Il serait en effet très tentant de voir représenté, à côté d'un abbé ou de saint Benoît, le fondateur de l'abbaye de Soréze (le roi Pépin par tradition) ou l'un de ses bienfaiteurs (4).

Quoiqu'il en soit, ces deux représentations apparaissent très frontales, sans aucun mouvement, empreintes d'une rigidité qu'accentue encore la verticalité des plis en bourrelet. Très enserrées dans leur cadre, elles sont en relief vigoureux mais sans profondeur et présentent un modelé sommaire.

 

 

LA DATATION

 

 Ces caractères stylistiques, et surtout ces plis amples et profonds, ainsi que certains détails comme l'arc trilobé, le chapiteau feuillagé ou les coiffures permettent d'attribuer cette œuvre au dernier tiers du XIIIe siècle, dans les années 1270. Elle pourrait être rapprochée notamment des clefs de voûte ou des statues de l'ancien portail de Saint-Vincent de Carcassonne.

 

LA DESTINATION

 

La destination de cette pièce reste hypothétique. On connaît depuis Moissac le succès de la formule du pilier d'angle de cloître, sculpté sur deux faces en bas­relief (5), succès que souligne M. Marcel Durliat :« Le « personnage-pilier », qui s'oppose à la « statue­colonne » inventée par le gothique du Nord de la France, s'attarde dans les cloîtres, c'est-à-dire dans les lieux mêmes où il était né » (6).

 Ce type de pilier se trouve aussi à la retombée de voussure de portails d'églises ou de salles capitulaires mais celui de Soréze est de section carrée et présente un chanfrein à la rencontre des deux faces laissées nues (7). Des œuvres isolées de leur contexte nous sont aussi parvenues, tels le « pilier narbonnais » (8) ou le pseudo-bénitier de Chamalières.

Ces deux éléments présentent des dimensions assez voisines du nôtre (9) mais s'en distinguent par le fait qu'ils sont sculptés sur quatre faces, plus exactement aux quatre angles comme dans le cas de celui de Chamalières où M. Marcel Durliat propose de voir un support de croix (10).

 

Or, le pilier de Soréze est orné sur deux faces perpendiculaires. De plus, son iconographie, autant qu'on puisse en juger, ne paraît pas correspondre à celle qu'on attendrait sur un support de croix.

 

CONCLUSION

 

Que l'on adopte ou non l'hypothèse d'un pilier de cloître, on mesure sans peine la distance qui sépare cette œuvre de réalisations pourtant bien antérieures, constatation qui rejoint celle de M. Durliat pour la période romane: « l'Albigeois paraît tout ignorer des conquêtes réalisées à Toulouse, par Gilabertus et ses contempo­rains, et à Moissac, par le maître du tympan » (11).

 

 

(1) Nous avions exclu cette œuvre, à cause de sa date, de l'analyse des éléments romans de Soréze parue en deux articles dans Archéologie du Midi Médiéval, T. II, 1984, p. 71 à 80 et T. IV, 1986, p. 21 à 47.

(2) Dessin publié par F. LACROIX, Quelques renseignements sur la vieille ville de Soréze (Tarn), Toulouse, 1913, p. 17. Ce dessin présente quelques inexactitudes comme l'absence d'animal sous les pieds du personnage de droite.

(3) La rotation de l'animal sur lui-même, d'un quart environ, aurait alors été incomplète.

(4) On connaît aussi la possibilité de voir représenté un même personnage, vêtu en moine et chevalier, comme sur les tombeaux de Poblet, cas assez fréquent en Catalogne.

(5) Elle a donné lieu à des variantes comme le remplacement des figures isolées par des panneaux racontant des scènes entières (à la suite du cloître de Silos, comme à Saint-Guilhem-le-Désert ou à Arles).

(6) Marcel DURLIAT, Les reliefs de St-Pierre et St-Paul à Saint-Michel de Cuxa, dans Les cahiers de Saint-Michel-de-Cuxa, 1970, n° 1, p. 28.

(7) Il faut donc éliminer l'hypothèse d'un ressaut d'ébrasement de portail, les côtés étant un peu larges et égaux, disposition qui serait d'ailleurs assez surprenante à une pareille époque. De plus, la présence d'un chanfrein à l'arrière semble indiquer que les faces postérieures devaient rester visibles sinon vues.

(8) Conservé au Musée des Augustins de Toulouse, Cf. Paul MESPLÉ, Toulouse, Musée des Augustins, Sculptures romanes, Inventaire des collections publiques françaises 5, Paris, Ed. Musées Nationaux, 1961, n° 261.

(9) Pilier narbonnais : 0,63 x 0,51 m, H. 1,31 m. Pilier de Chamalières : 0,44 m de côté, H. 1,20 m.

(10) Marcel DURLIAT, Le prieuré de Chamalières, dans Congrès Archéologique de France, Velay (1975), 1976, p. 490-494.

(11) Marcel DURLIAT, Haut-Languedoc roman, ouv. cité, p. 337.

 

 

 

CROIX DE LA PASSION, PLACE DU RAVELIN (ancien emplacement). 

 

Fig.  1: Pilier historié de Soréze, vue des deux faces sculptées..

Fig. 2: Dessin publié par F. LACROIX, Quelques renseignements sur la vieille ville de Soréze, 1913, p. 17. 

Fig. 3: Pilier historié de Soréze, face sculptée de gauche et revers.

    

   

 

 

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